» Une voix du fond de la nuit  » [1] par Joseph Rossetto

Une voix du fond de la nuit. (1) (Titre provisoire)

(Atelier artistique pour les élèves de 4ème et de 3ème du collège Guy Flavien. Paris)

Des oeuvres qui sont notre conscience.

Les ateliers artistiques menés avec les élèves de 4ème et 3ème abordent la manière dont l’art exprime une conception du monde et s’intéresse à quelque chose de tout à fait fondamental qui fait le prix des œuvres étudiées et les rend irremplaçables : ce sont des écrits, des images ou des musiques qui se préoccupent du sens de la vie et d’une relation de présence au monde dont le désordre actuel demande autant réflexion, qu’engagement et invention. Ce sont des œuvres qui se situent quelque part dans les programmes scolaires : elles offrent la possibilité de rencontres avec de belles échappées de rêves, de regards et d’expériences qui sont utiles à l’existence de chacun : la littérature, l’histoire, l’art et les sciences introduisent dans un monde de sens et de valeur, mieux que tous les discours moralisants, que la philosophie même.

Nous travaillons avec des adolescents qui ont essentiellement besoin de trouver sens à ce qu’ils apprennent, exigence et plaisir, l’un n’allant pas durablement sans l’autre. Mais il faut le répéter, nous étudions d’abord des oeuvres et ce qu ‘elles contiennent de conscience, d’expérience, de signes d’humanité plutôt que des méthodes.

Questionner l’imaginaire des adolescents.

Pour toutes ces raisons, au sein des ateliers, les apprentissages ne peuvent se faire sans questionner l’imaginaire des adolescents, sans faire appel à leur expression. On s’aperçoit alors qu’ils sont capables d’inventer des textes et des figures qui nous surprennent par leur pertinence et dont la beauté nous étonne : voici que des adolescents dévoilent des singularités riches, ce qui serait difficile si nous restions dans un moment trop conventionnel. Les apprentissages doivent parvenir à mettre les enfants dans un rapport à eux-mêmes. Il y a quelque chose de fondamental dans l’acquisition des apprentissages : la part apportée par l’élève lui-même, ce qu’il peut amener autant par ses écrits que par son corps. Car nous apprenons par le corps auquel il faut reconnaître le droit de bouger, de vivre des émotions, de les exprimer. Il s’agit donc d’inviter les élèves à la curiosité du corps, le sien et celui des autres en fondant les apprentissages sur la créativité, l’échange, la tolérance et le respect. Le corps porte la mémoire des mots. A travers les expériences qui lient les mots et le corps, nous approchons ces moments de présence où la vie prend souffle, sens, forces, tout ce qui fait son essence.

Un espace d’expériences.

Et puis il y le voyage, l’ouverture au monde, aux cultures où chaque rencontre oblige à comprendre ce qui est autre, contredit et enjoint les adolescents à ne pas se replier sur eux-mêmes et sur leurs réseaux de relations trop égocentriques. Le voyage est une aventure, une expérience forte par le travail accompli : nous investissons les hauts lieux et les villes ; là se déroulent les récits imaginés, les fictions prenant appui sur les grandes œuvres étudiées. Nous jouons, nous dansons, nous filmons non pas pour rêver un monde qui n’est plus mais pour mieux réfléchir sur le monde que nous vivons. Nous marchons davantage dans des lieux qui n’ont pas de nom dans les guides plutôt que dans les lieux de passage obligés. La route parcourue, c’est un espace d’expériences qui s’accumulent derrière nous, tandis que s’ouvre en face la profondeur de chaque instant qui vient.

C’est un moment différent pour tous ceux qui sont là : un moment pris à la vie scolaire, à la vie secrète, à la vie de tous et de chacun.

Questionner la vie de chacun, la vie tout court.

L’école ne prend pas assez en compte le besoin des jeunes de trouver des lieux de réflexion sur les grands problèmes de la vie : la liberté, la démocratie, la justice, le courage, l’engagement, le bonheur, la beauté… D’ailleurs on s’aperçoit de plus en plus que les élèves sont ignorants des évènements et des débats pourtant cruciaux pour l’avenir. C’est un peu comme si ce qu’ils apprennent à l’école n’a pas à voir avec la vie de tous les jours. J’entends avec surprise des élèves qui réussissent très bien, dire :  je ne suis faible en histoire et d’ailleurs ça ne m’intéresse pas , réduisant ainsi l’expérience humaine, et l’étude des œuvres et des sociétés en une simple discipline scolaire et à son évaluation par quelques exercices.

L’ atelier, ce n’est pas une matière : on est là, on ferme les rideaux de la salle mais on est dans le monde plus que jamais.

En 2009-2010, avec  Les enfants d’Héraclès  27 élèves de 4ème et de 3ème prenant appui sur une pièce d’Euripide ont questionné leur identité, l’accueil de l’autre, de l’étranger et le droit d’asile dans une démocratie. Il s’est trouvé que les recherches menées étaient d’actualité dans un monde qui perd ses repères et ses valeurs humanistes.

Cette année, en nous inspirant de quelques thèmes du film de Luchino Visconti,  Mort à Venise , nous interrogeons la place de la beauté dans le monde et dans la vie de chacun, et son contrepoint c’est à dire la finitude, la souffrance, la douleur… Si nous étudions la beauté, c’est que nous lui donnons un sens, une raison d’être, une espérance surtout, pour un avenir dont on ne veut pas désespérer.

Pourquoi Venise ? Ce qui nous intéresse à Venise, c’est sa mémoire exceptionnelle accumulée au cours des siècles, un patrimoine qui a organisé la cité comme l’est une langue dont la syntaxe et même la rhétorique sont constituées par un enchevêtrement d’œuvres magnifiques, de couleurs, de sensations, d’émotions, de poésies. C’est dans cette syntaxe que nous inventons une nouvelle aventure, pour y errer et y respirer. Il ne s’agit pas simplement de jouer ou de danser sur les places, mais d’investir réellement les lieux.

Une voix du fond de la nuit

La fiction qui porte le travail d’écriture, de théâtre, de danse et de cinéma, raconte l’histoire d’une troupe artistique, dirigée par un vieux professeur, Alberto qui veut leur livrer un secret avant sa mort. Il a décidé de les emmener à Venise pour préparer leur nouveau spectacle. Il a dit à ses élèves qu’il connaissait dans cette ville un lieu où ils pourraient travailler. Ils trouveraient l’inspiration qui leur manquait pour leur création future. Mais surtout durant leur voyage, ils feraient probablement une rencontre qui allait changer le cours de leur existence. Arrivés à Venise, les jeunes ne verront plus leur professeur qui communique avec eux par des messages :  Je vous ai emmenés à Venise à cause d’une voix que j’ai entendue dans le bruit de l’eau calme, à peine mue par un souffle léger, à proximité d’un petit canal. C’était un chant fragile comme la vie. Je voudrais entendre à nouveau cette voix à la fois oubliée et inoubliable. Mais je ne le pourrai pas. C’est pour cela que je vous ai emmenés, pour que vous la retrouviez. Je me souviens, c’était une barque entourée de murs sombres, nous glissions sur une eau dure comme le diamant, puis nous sommes entrés dans un endroit inconnu où j’ai vu la beauté, c’était inouï..  Vont-ils croire en cette voix dont nous parle Alberto ? Vont-ils partir à sa recherche avec chacun leur façon si particulière d’aimer la beauté ?

A la découverte des secrets de Venise, des œuvres de Giorgione et Titien, des soleils couchants sur la lagune, investissant la ville, ils vont apercevoir à plusieurs reprises un visage d’une beauté inoubliable. Ils vont partir à la recherche de ce visage dans la ville envahie par la putréfaction provoquée par une épidémie. Ce visage va-t-il conduire à nouveau à Alberto et peut-être à son secret, à la voix ? Dans la crypte d’un palais les attend une vision d’une beauté autre …