Par Céline Baliki. Quelques mots pour situer le projet : depuis de nombreuses années, je travaille en atelier artistique mêlant l’écriture poétique et la danse avec des artistes chorégraphiques et des écrivains. Cette année, Delphine Bachacou, chorégraphe, danseuse et Ariane Dreyfus, poète, sont les compagnons de route d’une classe de 6ème du collège Pierre Sémard de Bobigny. Ce travail se situe au cœur de mon enseignement.
Au tout début, Les mythes, un espace poétique à se réinventer- Titre provisoire
Fragment 1
septembre 2009 - décembre 2009
J’aime trouver les titres, les mots justes qui touchent là, exactement le cœur de ce que nous faisons, un titre éclairant, qui rayonne et parle de lui-même. Hélas ! Il n’est pas encore là, en gestation : Enfances / Au cœur de l’enfance / enfances, souvenir oublié vivant dans toute chose / Au commencement / A l’orée du monde / monde en enfance / enfances du monde sans majuscule, au pluriel ?
Peut-être ? …
Dans la demande d’atelier artistique, les mots qui précèdent l’expérience sont plus clairs : « les mythes, un espace poétique à se réinventer ». Oui, c’est bien ça mais aujourd’hui, avec le travail entamé depuis quelques mois, j’ai envie d’être plus près de ce qui touche et traverse les enfants. Et ce qui se passe dépasse l’évidence et la clarté des mots…
A l’origine du projet… Le désir d’emmener les enfants à la découverte des mythes et la volonté de questionner le lien que nous tissons avec ces grands récits que jamais nous n’oublions : comment et en quoi cette dimension universelle touche la part la plus intime de chacun d’entre nous, non pas dans un repliement sur soi mais au contraire, dans un mouvement d’ouverture qui nous fait prendre conscience de l’universalité de cette part intime, écho du monde…
Ce qui m’intéresse, c’est le va-et-vient entre le monde et chacun, comment le monde existe en nous, ce qui finalement détermine la place que nous prenons ou qui nous est donnée.
Le chemin que nous empruntons pour nous mettre en recherche est celui du travail sur la langue, avec les mots comme des corps habitant nos mouvements, nos élans, nos repos, nos rêves…
La poésie révèle un élément fondateur de notre être qui oscille entre ces grandes migrations, d’un espace à l’autre, de l’infiniment grand à l’infiniment petit et ↔ .
Ariane Dreyfus met les enfants dans un rapport concret, presque tactile à la langue. Il ne s’agit pas de faire apparaître des expressions originales, recherchées qui relèveraient d’un monde autre, à part…d’un monde qui serait déjà poétique avant d’exister mais, bien au contraire, d’ancrer les mots dans le réel, le quotidien et faire surgir l’étonnement …
Le poète, avec une attention exigeante aux enfants et aux mots, fait un travail d’une d’une justesse remarquable qui emporte les enfants dans une relation d’amour, de saveur aux mots. Les enfants posent alors un regard précis, juste sur les mots et le monde. Un regard non pas ordinaire, un regard particulier. De cette langue commune, les enfants disent un monde qui leur est propre, secret.
Dans cette approche qui permet aux singularités d’apparaître, d’habiter ensemble, de s’écouter, les corps sont très présents. Les textes écrits par les enfants ouvrent nos regards d’adultes trop encombrés. Les corps surgissent. Chacun existe. Et déjà, pressent-on les mouvements, les chutes, les élans, les déséquilibres, les appuis,
la danse…
Ce n’est donc pas une rencontre entre l’écriture et la danse mais l’évidence du corps qui prend forme… Ecrire c’est donner corps au mot et à soi, c’est se projeter dans la langue, être en mouvement, engagé physiquement…
Avant la venue d’Ariane, nous avions commencé avec Estelle Marzac, professeur d’arts plastiques, un travail sur la création du premier homme et de la première femme. Ces premiers corps à habiter le monde, le monde tel que les enfants peuvent l’imaginer. Il était difficile de ne pas créer un corps qui ressemble au corps humain et de ne pas sombrer dans les représentations de créatures de dessins animés…Nous avions donné des éléments fondateurs qui devaient servir d’ingrédients pour imaginer ces êtres qui seraient porteurs de l’humanité future : un geste, une couleur, un sentiment, une lettre, un mot.
Les enfants devaient bien sûr réfléchir au lieu qui accueillerait cette naissance, au temps : les conditions climatiques peuvent être déterminante : les naissances en tempête laissent présager des vies bien différentes, plus mouvementées peut-être que celles qui se passent sous un soleil brûlant, sans vent… terre aride, sèche ou bien pluie, mousson… champ de terre ou ruisseau, montagnes enneigées et bord de mer dévasté…
De ce lieu, ils pourraient extraire les matières qui constitueraient ces premiers corps. Les deux êtres représentent le masculin et le féminin. Les enfants avant de passer à l’acte de création plastique ont écrit des petits textes qui ont permis de poser les premières pierres… Et puis ils sont revenus avec des matériaux collectés ici et ailleurs, dans les greniers ou les caves, dans les rues et sur la dalle, dans la cour de récréation du collège et dans les cuisines… Les voilà les mains dans la matière en train de créer des petits êtres en mouvement…
Travailler le geste et le mouvement fondateur : geste comme signature personnelle, la marche comme fondatrice de l’humanité…Dansent les corps…
Ariane Dreyfus et Delphine Bachacou, chorégraphe, sont arrivées après cette première entrée en matière.