La réforme du collège
L’enseignement en collège est l’objet depuis quelques mois de nombreux articles et rapports qui se suivent et se ressemblent : tous concluent que le collège unique est dans une impasse, il ne parvient pas à favoriser la réussite des élèves. Au mois de mai 2010, la cour des comptes dressait un constat sévère sur l’organisation de l’enseignement en collège, extrêmement coûteux, pour des résultats finalement médiocres. Dans la foulée, le Haut conseil de l’Education révélait qu’à peine un élève sur 5 sait lire et compter. L’enquête PISA, rendue publique en décembre 2010 confirme ce diagnostic alarmant. Cette étude, menée tous les 3 ans, compare les compétences des élèves de 15 ans dans trois domaines, maîtrise de la langue, niveau en mathématiques, culture scientifique, dans 65 pays. (Les 34 pays appartenant à l’OCDE ainsi que 31 pays et économies partenaires). L’école française régresse à la fois pour la maîtrise de la langue et la compréhension d’un texte, pour le niveau en mathématiques et creuse encore davantage l’écart entre les élèves qui réussissent et ceux qui sont en échec : 22,5% de jeunes français sont en situation d’échec au collège, 9,6% font partie des plus performants. La France est donc le pays du grand écart scolaire : l’organisation et les formes d’enseignement font émerger un élitisme qui profite surtout aux catégories sociales les plus élevées : la France, nettement plus qu’ailleurs, est le pays où la catégorie sociale pèse sur la réussite scolaire.
Le retour aux fondamentaux
Aujourd’hui de plus en plus d’élèves décrochent quand ils arrivent en 3ème et ceux qui ont des facilités pour réussir n’ont plus le souci de l’excellence, les parents se sentent désemparés et les professeurs évoquent leur malaise au travail.
Nous étions pourtant si certains des vertus que la littérature, l’histoire et les sciences enseignent. Nous aimions que les cultures et les connaissances contenues dans les disciplines scolaires soient institutrices et qu’elles instaurent chez l’enfant curiosité, créativité, tolérance, écoute, admiration et émerveillement pour la beauté du monde que célèbre François Cheng.
Depuis longtemps on constate que l’enseignement est de plus en plus inadapté. Toutes les analyses plaident pour une profonde transformation de celui-ci.
Mais dans leur majorité les acteurs de l’école refusent cette analyse et préconisent le renforcement disciplinaire : davantage d’heures en français, en maths, en sciences, ce qui obligerait de prolonger l’emploi du temps jusqu’à 18h puisque toutes les plages de 8h à 17h sont déjà occupées par les disciplines. Il faut être attentif au fait que le retour aux fondamentaux , énoncé sous forme d’un slogan claquant comme un drapeau, un lire, écrire, compter n’aboutisse à une sécheresse et à la perte du goût savoureux que procurent les grandes œuvres, ciment de notre civilisation. C’est ce qui est en train de se produire. Il faut se poser courageusement la question du désintérêt des jeunes manifesté durant les heures de cours habituelles plutôt que d’en rajouter d’autres encore.
On a souvent entendu que le trop grand nombre d’initiatives pédagogiques plus ou moins heureuses depuis les années 80, avaient réduit à néant l’exigence, le travail, les apprentissages d’une école dite autrefois sanctuaire .
En réalité il n’y a jamais eu de pédagogisme effréné si je peux m’exprimer ainsi. Les formes d’enseignement, la transmission sont toujours restées extrêmement traditionnelles, centrées sur une technicité, aux dépends de la recherche, de la curiosité, de l’expérience.
Par exemple, dans sa pratique, le professeur de français aura fait connaître à ses élèves la structure d’un sonnet sans faire confiance à l’intelligence que l’enfant a du poème en prenant appui sur des souvenirs, des intuitions informulées, des analogies qu’il perçoit inconsciemment. C’est ainsi que des élèves très brillants quitteront le collège avec une ignorance totale de ce qu’est la poésie ; ils n’auront pas vécu cet enseignement comme une expérience d’écriture poétique qui a pour fonction d’intensifier le langage, de donner une présence aux mots, de les habiter.
Pierre Léna, membre de l’institut de France, a constaté qu’au collège unique, mathématiques et sciences n’éveillent plus guère la passion des jeunes. Et il écrit : Bien souvent, ils ne les cultivent que parce qu’au lycée la lettre S signifie plutôt sélection que science. Cette science qui se voulait promesse d’égalité, la voici désormais qui instaure la différence sociale. Plus que le contenu des programmes Pierre Lena met l’accent sur les formes de transmission inadaptées : Alors que nos élèves sont avides de savoir comment fonctionne le monde et veulent assouvir leur curiosité, ils comprennent mal que tienne tant de place la résolution de problèmes formels, portant sur des sujets étroits dont ils recherchent la pertinence pour leur propre vie.
L’enquête Pisa a montré que les adolescents français avaient de grandes difficultés à recontextualiser les savoirs appris à l’école dans des productions autres que des productions formelles. On est frappé par l’ignorance des élèves dans les domaines qu’ils étudient. On s’aperçoit que les savoirs sont purement formels, restent extérieurs aux enfants.
Progressivement on sent de la 6ème à la 3ème que la curiosité s’éteint. Dans la transmission des savoirs, il me semble essentiel d’avoir conscience de ces deux problématiques : d’une part, dans le long terme, il ne peut y avoir d’exigence sans désir, ni plaisir, sans que les élèves aient la possibilité d’apporter leur initiative, leur créativité, sans que les connaissances donnent sens au récit de l’expérience humaine, sans que les programmes que nous transmettons à l’école retrouve tout leur contenu culturel ; d’autre part, pour que les savoirs deviennent de véritables connaissances, il faut qu’ils rencontrent l’imaginaire des élèves : les cultures et les langues vivent en nous pour autant que chacun puisse se les approprier et soit donc en mesure de les re-créer. On ne possède quelque chose que lorsqu’on l’a soi-même transformé.
Mettre en perspective le parcours de l’adolescent
La rigidité des formes d’enseignement s’est accrue depuis une dizaine d’années ne laissant aucun espace à la responsabilisation, à l’initiative, à la créativité, à l’autonomie des élèves.
Ce que je viens de dire là, c’est la raison majeure du désamour des adolescents pour le collège, de leur manque d’implication, de l’absence de désir d’excellence pour ceux qui réussissent bien. Les adolescents à l’école n’ont aucun espace, ils n’ont jamais la possibilité de créer quelque chose avec leur tête, avec leur main ou avec leur corps. A un moment où les adolescents vivent une véritable métamorphose, avec une sexualisation du corps à laquelle ils doivent s’habituer, il faut leur donner du temps, accepter qu’ils aient envie d’être réellement présents en classe et d’exprimer un potentiel ; accepter que l’adolescence soit un moment d’initiation, une transition pendant laquelle les jeunes se cherchent, une parenthèse créatrice qui permet à chacun de trouver sa place, d’apporter sa part ; garder en tête que ce qu’ils apprennent doit nécessairement constituer une expérience.
C’est pour mettre en perspective le parcours de l’adolescent qu’il faut inscrire, autant que possible, les apprentissages dans des projets où l’exigence, la responsabilité, le sens de l’initiative, la créativité, l’esprit du collectif priment. L’opposition programme - projet - on n’a pas le temps de faire des projets parce que les programmes sont trop lourds - n’a pas de sens. Le projet, c’est tout sauf une activité plus ou moins ludique à la marge des cours, il se situe réellement dans les programmes, dans les apprentissages et il a pour objectif de développer une intelligence des contradictions, du débat, une intelligence polymorphe, ouverte sur le monde.
Mettre en perspective le parcours de l’adolescent passe aussi par le corps au moment où celui-ci est l’objet de transformations parfois mal vécues qu’il faut accompagner, renforcer au lieu de fragiliser. Il faut permettre aux adolescents d’exprimer des désirs, de développer leurs compétences et leur estime de soi par la possibilité de créer : en explorant différents univers de création, les savoirs vont toucher le corps, le traverser. Nous transmettons ainsi aux enfants un patrimoine riche et diversifié.
Bien sûr tout ceci demande une très grande exigence dans la transmission. Le projet ne peut s’accommoder de modèles préexistants, il incite de ne pas camper dans des certitudes, mais plutôt d’être toujours en mouvement et de ne jamais cesser d’inventer et de réinventer son travail.
L’école française qui formate beaucoup trop est très loin des pratiques préconisées ici. Le grand écart qui sépare, de plus en plus, les élèves qui réussissent bien et ceux qui ont des difficultés se caractérise d’une part par le décrochage d’un très grand nombre d’élèves (25% en moyenne à la fin de la 3ème dans les collèges Français) et d’autre part par l’émergence d’une élite mal préparée à occuper des emplois qui nécessitent autant capacité d’adaptation, créativité que culture riche et diversifiée. Un rapport paru récemment dans le journal Le monde montrait que jusque dans les écoles d’ingénieur, le système éducatif français n’a plus la capacité de former une élite créative et culturellement polyvalente dont a besoin la société.
Ce que préconise l’institution
Le collège a besoin d’une réforme en profondeur. Les gouvernements en ont conscience. Les ministres de l’éducation qui se succèdent n’osent pas la mettre en œuvre car les réformes sont globalement rejetées depuis 20 ans.
Cependant les experts qui orientent véritablement le système éducatif quelque soit le gouvernement, continue à imaginer des dispositifs et proposent des transformations profondes pour améliorer notamment l’enseignement en collège. Tous les dispositifs mis en œuvre depuis quelques années ont eu pour objectif d’individualiser l’enseignement : les PPRE, l’accompagnement éducatif et plus récemment, le livret de compétences et le socle commun. Jusqu’à présent, les dispositifs institutionnels sont restés à la marge des cours et ne sont pas adaptés ou trop ponctuels : l’accompagnement éducatif est une aide aux devoirs dont quelques élèves peuvent bénéficier.
Mais c’est le hasard qui prévaut : il est très limité en moyens et concerne des élèves volontaires dont l’emploi du temps est libre en même temps que les professeurs qui s’y engagent. Ces dispositifs, comme le B2I puis l’histoire des arts qui font partie du socle commun restent, en réalité, à la périphérie des cours. Les PPRE comme les dispositifs de soutien font illusion : on rajoute autour, mais on ne change pas le cœur de l’enseignement, on ne transforme pas le moins du monde nos façons d’enseigner, ni l’organisation des heures de cours qui se succèdent et morcellent à l’excès les disciplines. C’est un peu comme si on voulait ignorer le domaine pédagogique qui fâche. Par exemple, pour faire adhérer les jeunes générations à la nécessité si pressante d’une science pour tous, il aurait fallu transformer en profondeur la façon d’enseigner les sciences et les techniques, développer et généraliser le projet de Georges Charpak La main à la patte qui rend moins étanches les cloisons disciplinaires.
Mais cette fois-ci avec la création du livret personnel de compétences et la mise en oeuvre du socle commun, nous entrons dans un autre niveau d’ambition. Il s’agit de sortir des actes d’évaluations systématiques pour transformer à court terme les pratiques de transmission.
Car travailler à partir des compétences fait exploser le cadre habituel. Avoir de bonnes notes ne signifie pas qu’une compétence est acquise : la compétence se construit avec le temps, se voit en acte, elle est la finalité d’un projet de transmission. L’enseignement des disciplines aura donc pour objectif de fabriquer des ressources qui permettent, à la fin d’un processus, d’acquérir le socle commun des compétences. Voilà qui sort du cadre actuel de transmission et qui vient bouleverser les pratiques : c’est en quelque sorte renverser le mode de transmission en partant des compétences à acquérir pour construire un enseignement qui amène les élèves à se poser la question de leur propre cheminement.
Malheureusement, c’est mal parti. En voulant faire cohabiter les absolus programmes disciplinaires, sans rien changer de leur contenu très didactique, et les 7 piliers du socle commun, on aboutit à quelque chose d’impossible, à deux formes de transmission antinomiques comme en témoigne le récent document paru sur Eduscol : il s’agit de référentiels qui indiquent de quelle façon dans chaque discipline, on peut évaluer les compétences. C’est un document fait pour rassurer, pour donner des outils. Mais pour ma part, je suis effrayé par la difficulté, le temps, la complexité et finalement l’inutilité d’une telle évolution s‘il s’agit d’appliquer un système d’évaluation supplémentaire sans changer quoique ce soit aux formes d’enseignement.
Il ne faut surtout pas oublier qu’il y a eu dans l’histoire un projet si constant, si résolu et parfois si héroïque pour trouver du sens au cheminement des hommes et aider à la vie, pour la clarifier, pour en reconnaître la beauté à travers les cultures, la littérature, les sciences, qu’on ne peut se détourner de l’exigence de leur transmission. La pédagogie est au cœur du récit de la vie, elle va bien au-delà d’une technique ou d’une didactique pure et simple. Ce en quoi les jeunes professeurs ne sont pas préparés. Les jeunes professeurs ne sont pas formés à travailler en projet. Ils ne considèrent pas leur discipline comme appartenant à l’histoire du monde, en écho aux autres cultures, aux sciences, aux arts. Je dirai même que la formation est antinomique à cette approche. Et c’est là un lourd handicap pour que l’enseignement en collège permette à chaque enfant de trouver sa place.