Addenda : quelques impressions d’un cinéaste discret

cinéaste discret

Je suis heureux que tous les élèves aient vécu de « l’intérieur » une grande œuvre. « Mort à Venise » de Luchino Visconti, est un chef-d’œuvre absolu du cinéma post néo-réaliste italien. Il s’inscrit dans l’écriture proustienne des émotions, dans l’infiniment indicible, dans ce qu’il y a de plus difficile à rendre au cinéma : l’invisible. L’exigence de Visconti dépassait toutes les limites, jusqu’à le rendre parfois insupportable sur les plateaux de tournage.

L’incroyable réussite de ce projet collectif, est d’avoir su traduire une émotion entre deux êtres (dans le film de Visconti : le musicien Aschenbach et le jeune Tadzio) par deux entités aux visages multiples : un groupe d’élèves et de grands artistes contemporains. Tout cela grâce au travail attentif et exigeant d’une magnifique équipe : une chorégraphe, Délphine Bachacou, une comédienne, Aurélie Turlet, une enseignante de lettres, Céline Baliki qui ont su avec talent et générosité, faire travailler les élèves et réinterprété l’œuvre ou les œuvres conjointes de Thomas Mann et de Luschino Visconti. Ce projet a atteint un degré d’alchimie entre corps et décors, entre voix et regards au cœur de Venise. Je n’oublie pas également la discrète mais belle présence de Claude Goisny sur ce projet. Que dire de Joseph Rossetto, un principal de collège qui a pour souci d’emmener les élèves vers ce qu’il y a de plus profond, de ce qu’il y a de plus beau et cela depuis des années…

Je n’oublie pas Venise, je n’oublie pas le voyage, je n’oublie pas la fatigue des marches interminables, je n’oublie pas les rencontres avec des êtres remarquables, je n’oublie pas la beauté immortelle des palais, des ruelles, des places, des tableaux, des ombres et des lumières, la nuit…

Je suis discret dans cette aventure car je n’ai pas la prétention de « faire » un film (comme on dit) à partir d’une œuvre majeure revisitée. La gageure valait pourtant son pesant d’or. Il fallait oser le faire. Mais je suis toujours impressionné comme d’habitude avec ce genre de projet protéiforme, par les effets que produit une telle aventure sur des adolescents qui, fort heureusement, savent garder la candeur de leur jeunesse au détriment de je ne sais quelle performance artistique. Je me place comme le « tiers » dans cette aventure. Celui qui regarde et écoute en filmant. Et comme je le dis souvent pour plaisanter à Joseph : je suis tout sauf un cadreur de match de football, de captation théâtrale… dans ce cas de figure. (je n’ai rien contre les cadreurs de ces événements, bien au contraire). Je vis à ma façon à travers quelques émotions partagées l’œuvre commune, la recherche des temps immobiles, entre des voix fragiles, des regards perdus… je respecte "à la lettre" le texte d’un scénario collectif à partir duquel je tente de faire ressentir l’espace cinématographique. Je reste « humble » dans ces temps effreinés de prises de vues sachant qu’en matière de cinéma tout est à faire, tout est long, rien ne va de soi. Si les écritures successives, les apparentes signifiances des corps, des visages et des voix, sont belles, astucieuses et sincères, c’est parce qu’elles ont demandé au « filmeur » pas mal de maîtrise. Dans ma tête, je « colle » déjà les plans qui viennent d’être filmés, pour donner toute leur chance au montage et pour laisser apparaitre un sens aussi mystérieux et complexe que l’effet sonore d’une série de notes de musique.

Nous sommes dans un système d’écritures croisées. L’image et le son révèlent l’exigence et la beauté de ce travail. J’en profite pour rendre hommage à celle, discrète elle aussi, qui rend possible une visibilité à tout ce travail joué, dansé, filmé, je veux dire Clémence qui, dans le petit coin d’une salle de montage à Périphérie, permet de faire revivre l’histoire durant deux mois et demi de travail.

Aujourd’hui cela paraît si simple d’appuyer sur un bouton d’appareil de prises de vues (n’oublions pas le son tout de même). Mais celui qui a touché à la pellicule argentique au cinéma, sait de quoi il parle. Ce qui compte, pour moi, comme dans tous les travaux que je fais avec les élèves, c’est le regard que je porte sur leurs émotions furtives, sur leurs regards, sur leurs gestes, sur leurs voix… au-delà des mots, au-delà des peurs… je remercie les élèves pour leur confiance et leur reconnaissance.